Extrait du dossier pédagogique
réalisé par Les Grignoux et consacré au film
Chez Nous
de Lucas Belvaux
Belgique-France, 2017, 1h54
Le dossier pédagogique consacré au film Chez nous de Lucas Belvaux s'adresse aux enseignants du secondaire qui verront ce film avec des élèves entre 15 et 18 ans ainsi qu'aux éducateurs en animation permanente. Il propose plusieurs animations à mettre en œuvre après la projection. Ces animations permettront entre autres aux participants de dégager le sens du film et d'affiner le point de vue du réalisateur sur la réalité qu'il décrit. Une analyse du scénario, et plus particulièrement de la manière dont il met en scène les mécanismes de la manipulation orchestrée par les représentants politiques d'extrême droite, et un exercice d'interprétation de détails – plans, éléments de mise en scène cinématographique, indices visuels, choix des appellations… – devraient permettre d'atteindre ces objectifs.
L'extrait reproduit ci-dessous s'intéresse plus particulièrement aux mécanismes de manipulation utliisés par le parti identitaire et que met en évidence Lucas Belvaux dans son film.
Au centre de la fiction, le parcours de Pauline donne à Lucas Belvaux l'occasion d'exposer les mécanismes de manipulation mis en œuvre par le RNP, le parti identitaire d'Agnès Dorgelle, pour recruter de nouveaux électeurs. Dans l'animation qui suit, c'est cette thématique importante que nous souhaitons développer en invitant les participants à réfléchir à deux questions relatives, d'une part, à la manière dont le docteur Berthier s'y prend pour convaincre Pauline de rejoindre le RNP et aux raisons qui le poussent à la choisir elle plutôt qu'une autre personne, et d'autre part aux motivations qui poussent le parti à lisser son image et aux moyens qu'il déploie pour y arriver.
Divisons la classe ou le groupe en quatre petits groupes et confions à chacun d'entre eux un seul de ces deux aspects à traiter à partir de deux questions générales. Deux groupes réfléchiront ainsi à la même dimension du processus de manipulation, ce qui devrait permettre un échange ultérieur plus riche et constructif. Pour les deux dimensions questionnées, il s'agira d'activer tous souvenirs gardés du film afin de détailler le plus possible les mécanismes mis en œuvre par le RNP pour gagner du terrain à Hénart.
Ouvrons ensuite une discussion en grand groupe pour permettre aux participants de confronter et éventuellement compléter les éléments identifiés en petits groupes et listons-les au tableau de façon structurée.
L'animation aura permis, on l'espère, de mettre en évidence une formidable imposture : celle d'un parti identitaire qui pare ses visées totalitaires d'atours démocratiques et détourne les valeurs républicaines au profit de son idéologie xénophobe.
Les commentaires développés ici sont présentés à titre illustratif et, en cela, ils ne constituent en rien un corrigé de l'exercice. L'enseignant/animateur pourra s'y référer pour aiguiller les participants en difficulté au cours de la phase de réflexion en petits groupes ou encore pour alimenter la phase suivante de partage des éléments identifiés. Enfin, ces commentaires pourront éventuellement être directement confrontés aux réponses apportées par les participants une fois que celles-ci auront été listées et structurées au tableau.
Pauline est infirmière à domicile : à ce titre, elle est proche des gens et elle connaît bien leurs problèmes ; son rôle est de les aider dans leur quotidien et ses visites sont attendues ; d'emblée, elle bénéficie par conséquent d'un grand capital sympathie. La solitude et la pauvreté sont le lot de bien de ses patients.
Pauline est une fille du cru : comme les habitants de Hénart, elle souffre du déclin socioéconomique de sa région et sait de quoi elle parle. Plus précisément, son père est malade de l'amiante et victime de la désindustrialisation de la région. Elle-même vit chichement et est obligée de travailler dur pour subvenir aux besoins de ses deux enfants…
La stratégie que le médecin met en place pour convaincre cette candidate idéale repose ensuite sur la création d'une forte empathie fondée sur une identité supposée de point de vue, sur la flagornerie et la promesse d'une vie meilleure :
Dans Chez nous, le personnage du père d'Agnès Dorgelle, qu'on ne voit pas dans le film, incarne le Bloc et, à travers lui, l'ancienne image de l'extrême droite française, celle qui prévalait encore quelques années plus tôt, du temps où elle était ouvertement liée au néonazisme et à tout ce que ce mouvement représente en termes de haine raciale, de violences de toutes sortes et en particulier physiques, de criminalité diverse, de négationnisme ou de banalisation de la Shoah.
Afin d'élargir son électorat, il est devenu nécessaire à un moment donné pour l'extrême droite politique de prendre ses distances avec tous ces milieux radicaux aux propos et aux actes extrêmement choquants. S'est alors enclenché un processus de «?dédiabolisation?» qui s'est construit progressivement autour d'une image lissée beaucoup plus fédératrice et désormais incarnée dans le film par sa fille, Agnès Dorgelle.
Il n'est pas difficile de reconnaître dans ces personnages fictifs les deux grandes figures du Front National français : Jean-Marie Le Pen, écarté du Parti en raison de ses nombreux propos ouvertement racistes, haineux, révisionnistes…, et sa fille Marine, qui séduit aujourd'hui un nombre croissant d'électeurs en prétendant défendre les grandes valeurs républicaines.
Dans Chez nous, le processus de fabrication d'une nouvelle image, plus lisse, plus acceptable, plus consensuelle, est rendu visible à travers la relation triangulaire qui s'établit entre Pauline, Stanko et le docteur Berthier :
Parallèlement à ce souci de rendre hermétique la frontière entre les deux tendances, on remarque d'autre part que les candidats du RNP n'hésitent pas à s'approprier les valeurs démocratiques au nom de la « révolution nationale ». C'est clairement cette revendication qu'exprime Agnès lorsqu'elle propose à Pauline de mener la liste du RNP à sa place : « Toi et moi, on a les mêmes idéaux : la liberté, la justice sociale… Il faut tout reconstruire ! », lui dit-elle.